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Jacqueline Audry

Jacqueline Audry

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Découvrir ses films 

Jacqueline Audry : son nom ne vous dit probablement rien et cela a de quoi surprendre quand on sait que Jacqueline Audry fut la seule femme cinéaste dans la France de l’après-guerre. Entre Alice Guy et Agnès Varda, elle a réalisé une quinzaine de films de 1946 à 1969, dont la plupart reçurent un grand succès public. Audry devient pourtant, dès les années 70, la grande oubliée du cinéma français. Si ses films se caractérisent par une mise en scène relativement classique, cela n’explique pas cette disparition abrupte des mémoires, tant son cinéma se démarque par l’audace de ses propos, à commencer par Olivia — qui relate de jeunes amours lesbiennes — et ses adaptations de Colette. LaCinetek vous propose de la découvrir avec cet hommage en 4 films, où l’on voit comment l’esprit vient aux filles, si tant est qu’on leur confie des caméras.

Née en 1908, Jacqueline Audry entre dans le monde du cinéma un peu par hasard, alors qu’elle cherche un moyen de subvenir à ses besoins : d’abord scripte, elle devient bientôt la première femme à occuper le poste d’assistante à la mise en scène, auprès d’Ophüls et de Pabst notamment. Pendant la guerre, elle rejoint la jeune école de cinéma de Nice, le CATJC où elle réalise un premier court-métrage documentaire, avant de s’atteler en 1945 à l’adaptation des Malheurs de Sophie. Si ce premier long métrage est apprécié, il la renvoie aussi à son statut de femme : œuvre pour enfants, le livre de la Comtesse de Ségur semble en effet tout adapté à une réalisation « féminine ». 

Nombre de ses films mettent en scène des héroïnes fortes — en témoignent les titres de sa filmographie qui reprennent souvent leurs prénoms — formant une sorte de féminisme populaire où la sororité est autant devant la caméra qu’à l’étape de l’écriture. Cependant, la variété de son œuvre interdit de la cantonner à un cinéma « de femmes » : du film Belle époque ou de cape et d’épée au western, en passant par l’existentialisme (elle portera à l’écran Huis clos de Sartre), Audry ne se contraint à aucun genre, tant est grand son appétit de faire.

Son adaptation de Gigi (1949), avec la complicité de son autrice Colette, marque un tournant dans sa carrière. Réalisé avec un budget extrêmement restreint, Gigi est un succès public retentissant, qui va légitimer la place d’Audry dans le panorama du cinéma français. Le film initie également une collaboration au long cours entre Audry et Danièle Delorme, révélée pour son interprétation de Gigi — quelques années avant Audrey Hepburn qui jouera le même rôle dans l’adaptation de Broadway – et qui se prolongera avec les rôles titre de Minne, l’ingénue libertine (1950) puis de Mitsou (1956), où éclate la liberté de parole des héroïnes de Colette. Avec une frontalité sidérante pour l’époque, Minne, en particulier, évoque sans détours la sexualité et le plaisir féminin, lors de conversations entre femmes échangeant sur leurs expériences respectives.

Le succès rencontré par Gigi permet aussi à Audry de financer son film le plus célèbre, Olivia (1950). C’est cette fois-ci avec sa sœur ainée Colette — ça ne s’invente pas — qu’elle adapte ce roman autobiographique de Dorothy Bussy, centré sur l’amour qui enflamme la jeune Olivia et sa professeure de français, Mlle Julie (magnétique Edwige Feuillère).

À l’instar de ses autres films, un certain classicisme formel s’accompagne d’ingéniosités techniques dans l’usage des lumières et des mouvements de caméras. Mais Olivia détonne avant tout par sa représentation extrêmement libre de l’homosexualité féminine, qui n’est jamais considérée comme un problème mais une simple donnée des personnages. Cette normalisation du désir lesbien permet au film de se recentrer sur les affres de l’amour et la complexité des mécanismes du désir. Alors que le point de vue de la cinéaste n’est frappé d’aucun jugement moral, l’emprise exercée par Mlle Julie sur son entourage (sa compagne Mlle Cara, mais aussi nombre de ses élèves) porte le film vers des sommets d’ambiguïté, avant que la sincère attraction de Mlle Julie pour Olivia vienne renverser la situation, comme l’arroseuse arrosée. 

Il n’est pas anodin, par ailleurs, que les élèves jouissent dans le film d’une grande liberté de pensée et soient encouragées à se forger une solide culture, tant l’éducation des filles est un thème qui traverse toute l’œuvre d’Audry. Le pensionnat d’Olivia est inspiré des Ruches, institution fondée par la pédagogue Marie Souvestre — développant l’indépendance et l’esprit critique des jeunes demoiselles — qui a vu défiler sur ses bancs Dorothy Bussy et Natalie Clifford Barney.

Paradoxalement, l’œuvre de Jacqueline Audry commence à s’effacer des écrans et des esprits dans les années 70, alors qu'émerge toute une génération de femmes cinéastes. Outre que l’oubli est souvent le sort réservé aux femmes dans l’histoire (et, en particulier, l’histoire de l’art), on peut émettre l’hypothèse que son statut d’exception (c’est la seule cinéaste de fiction de sa génération) ; son absence de ralliement à une école ou un mouvement esthétique ; la virulence des attaques des auteurs de la Nouvelle Vague contre « la qualité française » du cinéma des années 50 ; ainsi que l’écart générationnel qui la sépare des mouvements féministes post 1968 ont pu contribuer à cette disparition progressive des mémoires. Commençons aujourd'hui à y mettre un terme. 

Pour aller plus loin : 


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