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Monika d'Ingmar Bergman

Monika d'Ingmar Bergman

Le regard caméra de Monika : une audace formelle et geste transgressif

 

En raison de son audace et son érotisme explicite, Monika d’Ingmar Bergman (1952) sera frappée, à sa sortie, d’une interdiction aux moins de 16 ans. Une scène où la jeune Monika se met nue sur la plage dans une douce torpeur amoureuse, sous le regard d’Harry, fait particulièrement scandale. L’érotisme diffus du film se déploie entre l’amour des deux jeunes gens et les plans d’une nature majestueuse, baignée de la lumière d’été ou agitée sous l’orage. On peut imaginer cependant qu’au-delà de la sensualité omniprésente, peu en accord avec les normes morales de l’époque, c’est l’insatiable envie de liberté du film qui effraya les censeurs. 

Cette liberté, c’est celle de Monika, mais aussi de Bergman lui-même, qui éclate dans une scène entrée dans le panthéon du cinéma : celle du visage de Monika, en clair-obscur, fixant les spectateurs droit dans les yeux, alors qu’elle s’apprête à tromper Harry. Cette scène n’arrive pas de nulle part : de multiples gros plans sur son visage et celui d’Harry parsèment le film, mettant en avant leurs réactions et allant parfois jusqu’à ne pas montrer le contre-champ qui les a provoquées. Ces indices formels de modernité se cristallisent soudain dans ce regard caméra, geste transgressif absolu des règles cinématographiques, brisant la barrière intouchable du quatrième mur. Cette transgression n’est pas une simple provocation esthétique, elle donne forme à la rébellion de Monika et la porte à son climax, impliquant le spectateur de manière directe, le contraignant à prendre parti.

Les plans de visages, quasi picturaux, constitueront la signature du cinéma de Bergman. Alternés à des plans plus larges de paysage, ils créent une dynamique d’intensité et de respiration particulière. L’intériorité des personnages se reflète dans la nature environnante sans que l’on ne puisse toujours décerner si nous voyons le monde tel qu’il est, où tel que les jeunes héros souhaiteraient le voir. En cela, les films de Bergman ont véritablement quelque chose de l’ordre de la partition musicale, tant les divers éléments se font échos, et portent ensemble la mélodie du film. Ainsi dans Monika, la tonalité triste de la musique, les jeux d’ombre, et les fondus au noir qui scandent les plans de paysage anticipent, dès l’ouverture, la fragilité de la jeune idylle.

Le regard caméra de Monika deviendra un emblème pour les cinéastes de la Nouvelle Vague, notamment Godard qui travaillera souvent ce motif. De façon plus explicite encore, Truffaut revendiquera l’influence du film dans Les 400 coups quand le jeune Antoine Doinel vole une photo de l’actrice, Harriet Andersson, dans un cinéma. Cette citation est bien plus qu’un clin d’œil, tant Monika semble la grande sœur d’Antoine, qui en partage la révolte, le désir de liberté et l’audace du regard caméra final. Ce dialogue se prolongera dix ans plus tard, quand Truffaut empruntera de nouveau l’adresse à la caméra de la lettre lue par Martha (Ingrid Thulin) dans Les Communiants (Bergman, 1963) pour une séquence épistolaire des Deux anglaises et le continent (1973).

Monika est dans l'abonnement jusqu'au 10 juillet 2025, et reste disponible à l'unité.


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