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Faites vos jeux !

Faites vos jeux !

Un focus réalisé par les étudiants et étudiantes de l'ENS Lyon

Sur le plateau, chaque tapis de velours pourrait bien recouvrir une tache de sang. Faut-il s’amuser à la chercher, ou s’effrayer de son existence ? On n’hésite pas à qualifier l’expérience de spectateur de ludique lorsque, le temps d’un film, la vie devient un jeu. Indomptable, le mystère happe dans les salles comme dans les casinos. La griffe des cinéastes leurre la confiance de ceux qui viennent se divertir. Petit à petit, ces derniers s’attachent à leurs cartes, assimilent les règles. Dans un tour de passe passe, le croupier se fait alchimiste. Le temps se rétrécit au creux d’un sablier, les jetons en carton deviennent des pièces d’or, les maisons de plastique des hôtels de luxe, et de simples dés en bois sonnent sur la table comme les cloches du destin. 

Au bord d’une falaise suédoise, un chevalier affronte la Mort dans une partie d’échecs crépusculaire, orchestrée par Ingmar Bergman dans Le Septième sceau. La première pose son cavalier en F6, le second replace sa tour en D4. Dans la lignée de ce duel mythique, de nombreux films subvertissent le fameux jeu de guerre pour mettre en scène la confrontation des corps et des espaces. Alors que Delphine Seyrig et Giorgio Albertazzi s’affrontent dans un duel en noir et blanc silencieux et onirique arbitré par Alain Resnais, Claude Miller, transforme le temps d’un réveillon pluvieux une salle d’interrogatoire en un échiquier géant. Entre les deux rives de Garde à vue, Michel Serrault en sombre notaire se dresse face à Lino Ventura enquêteur. De l’autre côté de l’Atlantique avec David Fincher, le tueur du Zodiac en Tour inarrêtable élimine pion par pion les habitants de San Francisco. Entre les quatre murs qui entourent ces échiquiers macroscopiques, les corps s’engagent dans le jeu. Prenez garde, l'échec et mat, ici, est irréversible.

Du duel, on en vient vite au conflit de “tous contre tous”. Dans un huis clos infernal, les événements se reconstituent au fil des indices et des recherches, salle par salle et suspect par suspect. Mais savoir par qui, où et comment a été tuée la victime devient vite secondaire, les joueurs préférant plutôt régler leurs comptes. Tandis qu’un tueur se terre parmi les pensionnaires du 21 avenue Junot, huit femmes détruisent leur famille pour débusquer la parricide parmi elles. Amis ou collègues, inconnus ou parents s’interrogent. Tous s’accusent et se trahissent en voulant se cacher.

Dans la famille Corleone, je demande le père ! Sept familles mélangées, brassées, déchirées et parfois re-soudées se trouvent dispersées au hasard dans les mains des spectateur.ices. Si les protagonistes de Paris, Texas tentent d’en recomposer l’équilibre précaire, les enfants de Canine et le fils de Yeelen choisissent la fuite, quoique cette voie ne soit pas sans embûches… La tragédie n’est jamais loin, éclatant à chaque réincarnation du Parrain, ou rejaillissant soudainement au milieu du repas familial de Festen.

Les personnages de La Baie des Anges, eux, jouent les trompe-la-mort. Pariant leurs billets de train lorsqu’il n’y a plus rien à miser, ils s’aiment et se séparent au gré de banqueroutes et de splendeurs temporaires, glissant toujours plus vite dans un tourbillon d’aléas qui semble les maintenir dans un perpétuel climax. Dans Le Franc, ce n’est pas une quinte flush mais un billet de loterie gagnant qui crée ces montagnes russes émotionnelles, en pleine période de dévaluation du franc CFA. Cartes, tickets, coupons et dominos deviennent les objets magiques, aussi puissants qu’illusoires, auxquels chacun tente d’attacher sa croyance aux fables collectives qui irriguent le capitalisme des Trente Glorieuses françaises, la mondialisation prédatrice du Sénégal des années 1990, les cercles de jeu clandestins sous Weimar et bien sûr : Las Vegas.

Coups de génie et coups de poker finissent par amener la fin de partie, un échec et mat qui consacre vainqueurs et vaincus. Dés pipés, triche, bluff … Pour l’emporter, tous les coups sont permis, et le game over a bien souvent des airs de funérailles, pour les gagnants comme pour les perdants. Les pièces disparaissent du plateau dans des jeux macabres et inégaux où gagner revient à tuer, et jouer à torturer. Torturer les autres avec les golfeurs de Funny Games qui font de nous leurs infortunés partenaires, ou se torturer soi-même lors d’une soirée sadique dans La Corde. Que le gagnant soit le plus stratège ou le plus chanceux, personne n’en sortira indemne…


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